Par Jeanne Etelain
Définition
Alors que les concepts de « paysage » (Cosgrove, 1984), de « lieu » (Casey, 1997) ou de « territoire » (Elden, 2013), ont fait l’objet de nombreuses recherches historiques et philosophiques, le terme « zone » a, jusqu’à présent, suscité moins d’intérêt. Pourtant, ce terme pourrait bien être un concept opératoire décisif pour comprendre un problème spécifique de notre époque : celui de l’espace terrestre. Avec la crise écologique, la Terre fait désormais son entrée en scène dans nos vies individuelles et collectives. Mais la nature de cette dernière reste relativement indéterminée. Du point de vue scientifique, elle n’est plus simplement cette planète rocheuse couverte d’eau et enveloppée de gaz, en orbite autour du soleil. Du point de vue philosophique, elle n’est plus seulement ce sol originaire, immuable et immobile, qui conditionne toute expérience possible. Du point de vue politique, elle ne se laisse plus simplement saisir en termes d’appropriation, de distribution et de production. Avec « l’intrusion de Gaïa », comme l’appellent Isabelle Stengers et Bruno Latour (Stengers, 2013 ; Latour, 2015), la planète nous apparait désormais comme une entité active et agissante à part entière.
Il se trouve que le concept de zone pourrait nous aider à repenser la nature de la Terre à l’époque de l’Anthropocène. Son histoire et ses usages se situent à la croisée des conditions d’habitabilité et des modes d’habitation de la planète, dans une rencontre féconde entre sciences de la nature et sciences humaines et sociales. Des zones terrestres aux zones critiques, en passant par les zones économiques et les zones autonomes, la zone offre une nouvelle grille de lecture analytique pour permettre de saisir la nature profondément hétérogène et dynamique de la Terre. Ce faisant, elle ouvre la voie à une vision renouvelée de la spatialité qui, n’étant ni étendue géométrique, ni cadre inerte, ni contenant vide, ni matière plastique, possède sa propre puissance d’agir.
Zone vient du grec zônè, dérivé du verbe grec zonnunai, « ceindre », lui-même dérivé du sanscrit junāmi,« joindre, lier ». En grec archaïque, zônè désigne la ceinture ou la taille mais il s’emploie aussi au figuré pour désigner un espace en forme de bande ou de tour. C’est ce sens qui se retrouve dans la cosmologie grecque antique du 5ème siècle avant notre ère et qui a perduré jusqu’à la fin du Moyen-Âge en Europe latine (Aujac, 1987 ; Woodward, 1987). Les Grecs anciens divisaient la sphère terrestre en cinq bandes, délimitées par des cercles parallèles à l’équateur, en fonction de leurs relations avec les rayons du soleil. Ils dénombraient ainsi une zone torride, deux zones polaires et deux zones tempérées. Cette caractérisation de l’espace terrestre en termes d’ensoleillement se traduisait ensuite en termes d’habitabilité : la zone torride et les zones polaires étaient considérées inhabitables du fait de leur plus ou moins grande proximité au soleil, tandis que seules les zones tempérées étaient considérées habitables. La théorie antique des zones terrestres postulait comme nécessaire du point de vue de la raison l’existence d’une seconde zone habitable, située dans l’hémisphère sud, mais dont on ne pouvait faire l’expérience car rendue inaccessible à cause de la zone torride infranchissable qui la sépare de l’écoumène grec, le monde connu et habité. Cette seconde zone habitable, aussi connue sous le nom des Antipodes, était une source de spéculation et de légendes dans la mythologie grecque, incarnant l’ailleurs et l’inconnu, l’altérité radicale(Wynter, 1995 ; Hiatt, 2008). La théorie des zones servait aussi de limites normatives aux actions humaines et aux ambitions impérialistes en circonscrivant strictement l’écoumène grec : la Terre dans sa totalité ne saurait être un objet de gouvernance et entrer dans la sphère du calcul politique.
La théorie antique des zones terrestres s’accompagne donc d’une image de la Terre comme un espace profondément hétérogène, discontinu et provincial. L’existence des Antipodes pose un véritable défi à la doctrine monogénétique chrétienne en postulant des régions habitées par des peuples non descendus des fils de Noé. C’est cette conception de l’espace terrestre que la révolution géographique de la Renaissance est venue bouleverser. Avec les conquêtes européennes se forme un nouveau concept de Terre, qui se confond avec le globe terrestre considéré dans sa totalité. La Terre est désormais perçue comme un espace homogène, continu et universel, partout habitable, entièrement décrit par la géométrie euclidienne et la cartographie ptoléméenne (Besse, 2003). Un nouveau découpage de l’espace terrestre, concomittant de la naissance de l’État moderne et des empires coloniaux, s’impose avec une répartition entre territoires souverains et colonies.
Avec la révolution géographique du globe terrestre, le concept de zone disparaît progressivement. Il réapparait au 18ème siècle dans d’autres disciplines des sciences naturelles. Sans rapport avec l’étymologie, il se met à désigner plus largement une portion d’espace qui se distingue de ce qui l’entoure par un trait particulier permettant de la qualifier. Par exemple, on parle des zones blanches et noires d’un plumage. À partir du 19ème siècle, le terme prend un sens indépendant de données physiques pour désigner un espace artificiellement délimité sur une surface plus grande, auquel on affecte un certain type d’activités ou une fonction spécifique. Le concept prolifère alors dans le champ militaire (« zone libre », « zone occupée », « zone démilitarisée »), en aménagement du territoire (« zone industrielle », « zone résidentielle », « zone commerciale ») et en économie (« zone franche », « zone de libre-échange », « zone monétaire »). Depuis, on assiste à une avalanche de « zones » qui donne lieu à toutes sortes d’abréviations et de sigles (ZAC : zone d’aménagement concerté, ZEP : zone d’éducation prioritaire, ZUP : zone à urbaniser en priorité, etc.).
Ainsi, une zone désigne toute portion d’espace soumise à un statut particulier et obéissant à des règles spécifiques. Ce qui est frappant, néanmoins, est que le terme reste relativement indéterminé : il est toujours complété par un adjectif qualitatif ou un complément du nom. Une zone est toujours « zone quelque chose » ou « zone de quelque chose », comme si elle était inévitablement un espace en attente de qualification. En l’absence de qualificatif, la zone évoque bien plutôt le vague, l’indistinct, l’errance, comme le suggère les expressions françaises « c’est la zone », « zone grise » ou « zoner ». Ne possédant pas de propriétés propres et nécessitant toujours d’être déterminée, la zone apparaît donc comme un espace de la différence qui résiste à toute tentative de définition.
La zone n’est pas sans rappeler le fameux concept foucaldien d’hétérotopie qui désigne également un « espace autre » obéissant à des règles distinctes du reste de l’espace social (Foucault, 1994). Néanmoins, l’hétérotopie foucaldienne correspond certes à un espace qui fait figure d’exception mais cet espace autre, comme le jardin, le théâtre ou la prison, condense en realité l’ensemble de l’espace social dont il se distingue afin d’en offrir le reflet idéalisé ou inversé . Contrairement aux hétérotopies, les zones ne sont pas des condensés inversés ou idéalisés de l’espace social. Elles sont en excès sur cet espace qu’elles visent à transformer. Ce n’est pas un hasard si le zonage est érigé par le Corbusier comme technique priviligée d’aménagement de l’espace au service du développement socio-économique. Le découpage en zones correspond à un processus de différenciation de l’espace sur fond d’indétermination dans le but de rendre l’espace lui-même dynamique, agentif, et de permettre le changement dans un espace qui serait autrement surdéterminé. Il est frappant à ce titre que, contrairement à l’hétérotopie, une zone vient rarement seule : il serait plus juste de parler « des zones » que de « la zone », le pluriel étant une composante importante de son fonctionnement par différenc/tiation.
Problèmes
Shenzhen, Dubaï, Calais, gated communities, ghettos urbains, villages vacances… Partout sur la planète, les « zones » d’exception prolifèrent dans toute leur diversité, à toutes les échelles et de toutes les tailles. Plusieurs études en sciences sociales et en philosophie politique font même de la zone un paradigme spatial émergent qui remet en question les concepts traditionnels de souveraineté et de territorialité (Ong, 2006 ; Mezzadra et Neilson, 2013 ; Easterling, 2016 ; Slobodian, 2023). À leurs yeux, les zones correspondent à la géométrie et à la topologie d’une nouvelle géographie politique sous-tendant un nouveau modèle économique, ordre social et mode de gouvernance émergeant dans les années 1970 avec le capitalisme mondial intégré et le tournant néolibéral.
De nombreuses études ont affirmé que les États souverains n’étaient plus les acteurs les plus importants dans la régulation de l’économie et des relations sociales, les fonctions de gouvernance étant désormais entre les mains de diverses entités non étatiques au service d’une souveraineté globalisée du capital. Michael Hardt et Antonio Negri lui ont donné le nom célèbre d’Empire, un pouvoir de flux déterritorialisés, sans frontières, à la fois partout et nulle part, qui s’étend sur toute la surface de la planète et s’immisce dans l’intimité la plus secrète des individus, au cœur de leur vie psychique, affective et cognitive (Hardt et Negri, 2001). S’appuyant sur une terminologie deleuzo-guattarienne, les deux auteurs opposent au striage du globe moderne – la division territoriale en États souverains délimités par des frontières nationales – la production d’un espace global « lisse », c’est-à-dire continu et uniforme, sans dehors.
Cependant, les zones fragmentent aussi bien la division territoriale de l’État que l’uniformité globale de l’Empire. D’une part, la zone fragmente le pavage territorial puisqu’elle constitue une portion d’espace promulguée par un État sur son propre territoire, mais qui échappe ensuite à sa juridiction sous forme d’exemptions légales, voire d’entités administratives autonomes (Easterling, 2016). Par ce biais, les zones permettent à d’autres acteurs, le plus souvent privés, d’exercer une autorité sur la gestion du territoire et de la population (Ong, 2006). Cependant, la zone fragmente tout autant le maillage uniforme du capitalisme mondialisé puisqu’elle produit un feuilletage de normes juridiques, de régimes de travail, de modèles économiques, de droits sociaux, voire de styles culturels qui coexistent les uns avec les autres, entrant parfois en concurrence (Neilson, 2014).
Ainsi, la zone rend compte de la nature profondément hétérogène de l’espace terrestre qu’elle multiplie plutôt qu’elle ne le divise (Mezzadra et Neilson, 2013). Pour le dire autrement, contrairement au partage du globe en territoires souverains, le découpage de l’espace en zones ne correspond pas à une soustraction de l’espace, à une distribution ou à une répartition. Au contraire, le zonage a pour effet de créer plus d’espace, d’intensifier l’espace, en produisant de la différenciation interne. Cependant, il ne faudrait pas aller trop vite en concluant que ce découpage correspond à une différentiation fonctionnelle de l’espace au servie d’une logique globale comme dans les théories de la dépendance ou du système-monde (Wallerstein, 1974). Ces théories soulignent l’existence d’une géographie terrestre inégale qui s’appuie sur les différences locales, voire les produit activement, afin d’augmenter la plus-value et de résoudre les crises d’accumulation du capital. Cependant, ces théories continuent de concevoir la Terre comme un globe divisé en unités homogènes entièrement intégrées au sein d’un système totalisant auquel elles sont pleinement soumises, effaçant toute forme de différence qui n’est pas mise au service du capital. Le découpage en zones, en revanche, introduit une complexité supplémentaire, car il crée en même temps des poches, des vides, des failles, servant ainsi ironiquement de base à des mouvements de résistance et de productivité critique créative.
La zone est ainsi devenue une stratégie de résistance au capitalisme mondialisé néolibéral, à cette forme de pouvoir qui gouverne par fragmentation et sécession. Les zones économiques génèrent en leur sein même des formes de contestation en raison du chevauchement, de la divergence et de la concurrence entre les normes qui y coexistent, permettant de faire jouer certaines contre d’autres. C’est le cas par exemple des zones spéciales économiques en Chine qui ont été le théâtre de luttes ouvrières victorieuses et qui auraient autrement été impossibles dans le reste du pays noyauté par les syndicats d’État (Ong, 2006 : 103). Plus encore, la zone semble constituer la forme de spatialité spécifique à la mouvance autonome, comme l’atteste l’un de ses concepts les plus emblématiques, la Zone d’Autonomie Temporaire (Bey, 1985). Selon cette mouvance, il faut opposer au pouvoir « une autre géographie, discontinue, en archipel, intensive », en s’immisçant dans les espaces laissés vacants par le marché et l’État (Comité Invisible, 2014 : 187). Cette stratégie passe par la création de communes autogérées, loin des instances de pouvoir traditionnelles, où l’on va préfigurer les changements sociaux souhaités, sur la base d’une réévaluation militante des gestes quotidiens et d’une cohérence requise des discours avec les pratiques (Graeber, 2004).
Cette opération de retournement de la géographie zonale sur elle-même est flagrante dans le détournement de l’acronyme ZAD, « Zone d’Aménagement Différé » devenu « Zone À Défendre ». Les ZAD désignent des luttes militantes s’opposant à des grands projets d’aménagement « inutiles » par l’occupation habitante des territoires visés où s’expérimentent de nouvelles formes de vie, de coexistence et de subsistance, fondées sur des principes écologiques et sociaux (Collectif Mauvaise troupe, 2016). On pourrait voir dans ce renversement du sigle une dialectique bien huilée entre surdétermination capitaliste et productivité critique. Cependant, pour Hakim Bey, la zone incarne au contraire « un mouvement en dehors et au-delà de la spirale hégélienne », « qui viole “la” loi de l’Histoire », « une négation impardonnable de la dialectique », où « une différence [se fait] jour », seule capable de véritablement « changer le monde » (Bey, 1985 : 97-98). Le concept de zone échappe tout autant à une logique systémique qu’à une vision dialectique de la différence spatiale qui récupérerait toutes les oppositions sur son passage dans le cadre d’une logique globale. Le concept de zone correspond davantage à une détotalisation de l’espace où les parties sont toujours en excès sur le tout, possédant leur propre autonomie et pouvant, dès lors, vraiment faire la différence.
Proposition
Mettre l’accent sur la zone fournit un contre-récit aux images dominantes de la Terre comme globe terrestre. Que ce soit sous la forme d’un espace strié composé d’entités discrètes (pavage territorial) ou d’un espace lisse traversé de flux continus (maillage globalisé), les images traditionnelles peinent à capturer la complexité et la diversité intrinsèque de la Terre. Les zones, en tant que portions d’espace soumises à des statuts particuliers et des régimes d’exception, participent à une redéfinition non holistique de l’espace terrestre, substituant à toute forme de totalisation une image « parcellaire » voire « feuilletée » de la Terre. On aurait tort, cependant, de ranger les zones du côté d’un fétichisme romantique un peu rapide du lieu, du local ou du territoire. Non seulement elles sont des points nodaux où s’articulent des processus globaux tels que le capitalisme mondialisé, mais elles sont également des laboratoires d’expérimentation où s’élaborent de nouvelles pratiques visant un changement global. Pour les zones économiques, par exemple, il s’agit le plus souvent d’une conversion des territoires nationaux à l’économie de marché d’inspiration libertarienne (Slobodian, 2023) ; pour les zones autonomes comme les ZAD, il s’agit plutôt de participer à une transformation sociale du monde à travers la modification du champ des possibles (Bey, 1985).
Le concept de zone permet ainsi de complexifier davantage les relations local/global ou intérieur/extérieur. Il introduit une vision profondément dynamique de l’espace dont les zones sont les agents de transformation et les conditions productrices d’évènement. Le concept est donc porteur d’une pensée renouvelée de la spatialité qui doit être envisagée à travers des catégories habituellement réservées au temps, telles que l’indétermination, la contingence ou l’ouverture. Ce déplacement de perspective nous permet de voir l’espace non pas comme un simple contenant vide ou un décor passif servant de scène de théâtre pour les processus naturels ou les activités humaines. Au contraire, l’espace nous apparaït comme un élément intrinsèquement dynamique, participant activement aux processus de transformation et d’évolution.
Le concept de zone nous offre donc une nouvelle image de la Terre dont la portée analytique pourrait s’avérer décisive afin de mieux comprendre l’Anthropocène, cette époque marquée par la transformation des processus planétaires par les activités humaines. Tout d’abord, son origine théorique dans la cosmologie grecque antique inscrit immédiatement le concept dans une réflexion sur les conditions d’habitabilité de la planète. Ensuite, l’évolution de ses usages, suite à la révolution du globe terrestre, nous plonge dans des considérations sur les modes d’habitation de la planète liées à l’aménagement du territoire, à l’utilisation des sols et à la distribution des activités humaines. Ilustrant que les manières d’habiter la Terre sont en prise directe avec ses conditions d’habitabilité, les ZAD incarnent cette articulation problématisante entre conditions d’habitabilité et modes d’habitation qui font le cœur du concept de zone, de son histoire et de ses usages.
Cette nouvelle compréhension de l’espace terrestre que charrie l’histoire et l’usage du concept de zone trouve sa pleine actualisation dans les sciences du système Terre au début des années 2000 avec l’introduction d’un nouveau paradigme pour penser la planète : la zone critique. La zone critique désigne la bande étroite située à la surface de la planète, entre les eaux des fonds marins et le haut de la canopée, où se concentrent les processus biogéochimiques essentiels à l’habitabilité de la Terre (Gaillardet, 2023). Elle correspond là aussi à une compréhension de la Terre comme profondément hétérogène et dynamique : de nombreux composants physiques, chimiques et biologiques s’y rencontrent et interagissent, dans un processus de constante évolution. À l’origine, la zone critique n’était qu’une toute petite portion de la surface terrestre où l’activité des micro-organismes s’est développée pour s’étendre progressivement, au cours de milliards d’années, plus haut dans l’atmosphère et plus loin dans la croûte terrestre. La zone critique correspond donc, non pas à une vision de la Terre en mouvement, comme dans la révolution copernicienne, mais à une vision de la Terre comme mouvement (Aït-Touati et Latour, 2022).
En raison de son caractère hétérogène et dynamique, il est impossible d’étudier la zone critique en laboratoire selon la méthode expérimentale classique car tous les facteurs influençant les processus biogéochimiques ne peuvent y être reproduits intégralement. Autrement dit, la zone critique n’est pas « scalable » et nécessite d’être étudiée sur le terrain, au niveau d’un bassin versant, d’une montagne ou d’un glacier. De nombreux observatoires de la zone critique se sont ainsi développés autour de sites spécifiques, chaque observatoire s’attelant à l’étude d’un processus biogéochimique particulier. La zone critique correspond donc à une vision située de la Terre faite de sites hétéroclites, tous singuliers, loin de l’image du globe homogène, uniforme et universel vu depuis le ciel. La difficulté à laquelle se confrontent maintenant les scientifiques de la zone critique tient précisément dans cette tension entre une Terre située, multiple, et la volonté d’adopter une approche intégrative, voire holistique, pour comprendre l’ensemble du système Terre et pas seulement des parties isolées. Cette tension est lisible dans l’hésitation quant à savoir si le terme « zone critique » s’emploie au singulier, désignant l’entière surface habitable de la Terre, ou au pluriel, en référence à des endroits spécifiques étudiés par les observatoires.
En conclusion, les problématiques spécifiques de la zone critique, centrées sur la nature hétérogène et dynamique de la Terre, les rapports complexes entre les parties et le tout, ou encore l’intrication des conditions d’habitabilité et des modes d’habitation, résonnent profondément avec les questions plus générales que le concept de zone a toujours servi à articuler. En nous appuyant sur l’histoire et les usages du concept de zone, nous ouvrons un champ d’enquête qui permet de donner consistance à un ensemble apparemment disparate d’objets, de pratiques et de discours parfois très éloignés dans le temps (comme la cosmologie grecque antique) ou appartenant à des disciplines séparées (telles que les sciences du système Terre et l’économie politique), voire se situant à l’opposé du spectre politique (les zones capitalistes versus les zones d’autonomie). Ce faisant, la zone offre un cadre conceptuel permettant de commencer à répondre à certains des défis théoriques posés par l’Anthropocène. Tout d’abord, sur le plan épistémologique, le concept de zone permet une articulation étroite entre discours scientifiques et pratiques sociales ou entre sciences de la nature et humanités. Ensuite, sur le plan métaphysique, le concept de zone offre un cadre qui permet de théoriser la nature de l’espace terrestre pour en comprendre la capacité agentive.
Pour citer cette notice : Etelain, Jeanne, “Zone – des zones antiques aux ZAD : penser l’espace terrestre à l’époque de l’Anthropocène”, Dictionnaire Arcadie. Lexique philosophique par temps d’Anthropocène, 29 septembre 2023, URL : https://arcadico.hypotheses.org/1472.
Bibliographie
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Pour aller plus loin :
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